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  • Photo du rédacteurDanette

Jonathan, le baby-sitter (Quatrième Partie)

Dernière mise à jour : 23 mai 2020



L'EFFRONDEMENT




Je regardais, machinalement, une dernière fois ma montre. 23 h 45.


C’était une heure plus que raisonnable pour me coucher, d’autant que les programmes télé n’encourageaient pas à veiller plus longtemps. Je m’étais encore absorbé par un nouvelle épisode de Pekin express mais je ne pouvais rester devant les âneries qui s’en suivent.


La migration entre le canapé du salon et le lit était toujours dés plus compliqué et il ne fallait pas que je m’assoupisse dessus. Je dois être exemplaire pour mon fils et ne pas prendre de mauvaises habitudes quand je suis seul à la maison. Je m’avachis et le lendemain manque de jus devant les équipes.


Mais alors que je franchissais le seuil de la chambre, la sonnerie stridente de l’interphone me fit sursauter. Je pris quelques secondes avant de décider de répondre me demandant qui pouvait avoir besoin que je lui ouvre à cette heure. Peut-être il s’agissait de Mathilde, d’une urgence concernant Benjamin ? Je l’avais senti soucieuse…ou simplement un voisin qui avait perdu ses clés. J’allais donc répondre lorsque la sonnerie se répéta. C’était une urgence et mon cœur s’emballait à cet appel dans la nuit….

« Euh oui qui est ce ? » Questionnais-je d’un ton qui trahissait, sans aucun doute possible autant mon inquiétude mais également la méfiance.

« C’est moi. Tu peux ouvrir, pitié …. » Même si la voix était chevrotante et pleine de sanglots, je reconnaissais celle de Jonathan. Mais que faisait Jonathan au bas de mon immeuble, en pleine semaine ? Je ne devais récupérer Benji que pour les vacances de Juillet et d’ici là, j’avais bon espoir que les choses s’arrangent entre Mathilde et moi. Jonathan deven


ait un témoin envahissant et potentiellement gênant.


L’appel de Mathilde hier me l’avait fait réaliser. Un cheveu sur la soupe que je pensais faire pour donner du sens à mon existence.

La soirée que nous avions passée ensemble avait été riche en émotions. En moi, elle avait fait remonté des souvenirs et des promesses que nous étions faites : une vie de bobo avec un fils que nous voulions chérir. Elle m’avait fait sentir que, malgré tout ce qui c’était passé entre nous, j’étais toujours amoureux de mon ex-femme et le trait d’union était mon fils, ma bataille.


« Tu m’ouvres ?»

Et voilà que Jonathan venait dans l’échiquier. C’était un adorable grand frère pour Benji mais il s’était conduit de façon immature pour un baby-sitting selon mon ex-femme. Un fou déguisé en cavalier. Ou bien était ce simplement un pion, à sacrifier.


J’actionnais le bouton d’accès sécurisé à mon interlocuteur et mon esprit s’activa le temps que celui-ci ne monte les escaliers.

Mathilde avait raison sur un point. Je visais plus haut : « Vouloir la gloire et le bonheur – Tout ce qui s’attache au vainqueur – au prix d’offenses indélébiles ». A moi, la gloire et le bonheur. J’avais réussi à devenir le directeur Régional de notre enseigne, ce qui n’empêchait pas le siège national d’en vouloir toujours plus, de me presser comme un citron « Paris est la capitale de la mode ». A Mathilde les offenses indélébiles : Mari absent, père absent, piètre amant sans doute. Vers la fin, nous ne faisions plus l’amour. Ce n’est pas que je ne n’aimais plus ma femme ; c’est qu’elle n’existait plus. Nous n’avions pas su nous réinventer et l’humain, l’utilité d’une vie sociale parfaitement assumée revenaient au galop.


Le bruit de pas saccadés me sortait de mes pensées.

Rentrant par la porte laissée ouverte, Jonathan s’effondra, en larmes, dans mes bras.

Je ne pouvais pas le laisser comme ça, d’autant que nous étions visible du pas de la porte et que ses deux sacs étaient à Terre en vrac..

Je décidais d’agir avec un minimum d’organisation. D’abord faire progresser Jonathan dans l’appartement. Je laissais tomber l’idée de le consoler dans l’entrée. Il pleurait beaucoup trop. Quel drame se nouait ? Quelle sorte d’épuisement le rendait ainsi ?


Je pris donc le gamin dans mes bras, qui en profita pour se blottir immédiatement contre moi. Je le posais sur le sofa ou il se lova après que je lui ai retiré ses baskets. Il continua à pleurer à chaudes larmes et à renifler …. « Ca va, ca va. Tu es en sécurité là. Veux-tu un thé, un soda, un verre d’eau ? »


Le petit à l’abri, je pouvais m’occuper de ses affaires. De quoi, il était question ? Que diable s’était-il passé dans sa petite tête ? Pourquoi avoir apporté toutes ces affaires. Tout ceci ne me disait rien qui vaille, d’autant que nous devions nous revoir avec Mathilde après demain Samedi et que, pour l’occasion, je lui avais promis de lui faire découvrir mes nouveaux talents culinaires, acquis au prix de mon célibat forcé et de ma vie de père intérimaire et célibataire.

Je retournais donc vers le canapé avec un verre d’eau où je surprenais le gamin de 19 ans en train de sucer goulument son pouce. C’était nouveau ça ! Je savais dès le premier jour pour les couches, mais le pouce ….


Je revins sur le canapé, pris un coussin où Jonathan posa sa tête. Il commençait à se calmer sur mes genoux et je lui caressais la nuque, doucement, comme nous avions l’habitude de le faire avec Benjamin quand nous regardions la télévision. Nous restâmes de la sorte une bonne quinzaine de minutes et quand je le sentis prêt, je tentais d’avoir un début d’explication ….


« Alors, Jonathan, si tu essayais de m’expliquer ce qui se passe ? …. »

Entre deux respirations, « Daddy, je suis SDF depuis ce soir ! »

J’étais perplexe « Euh ... Tu m’expliques, s’il te plait ? »

Jonathan repris son souffle. « Il y a une dizaine de jours, je suis rentré chez mes parents pour le Week-end... Après avoir fêté son anniversaire qui s’était bien passé , et pendant que je dormais, mon père a trouvé mon téléphone portable qui vibrait sous les SMS répété de Nassim, mon copain et coach de muscu. Il a tout de suite compris que j’avais avec lui d’autres types de relation et que j’étais Gay. Ça l’a mis en colère et est monté dans ma chambre pour me le donner et avoir une « discussion ».


Jonathan avait du mal à contenir ses larmes qui inondait son visage et le coussin. « Il était sans doute encore un peu sous l’effet de l’alcool et avec violence il a arraché ma couette que je tenais pour me protéger. Là, il s’est rendu compte que je dormais avec une couche. Il s’est alors emporté et mis à me hurler dessus. Hors de lui, il m’a dit de quitter la maison immédiatement, et qu’il ne voulait pas d’une tapette attardée qui pisse au lit chez lui, que je ne pouvais pas être son fils. »


Même si je sais que de telles situations dramatiques existent, je n’avais jamais entendu « l’histoire » racontée du point de vue de la victime. Jonathan, déjà fragile, semblait encore sous le coup de cette expulsion en plein milieu de cette triste nuit. Comment au XXI eme Siècle, en France, de telles choses peuvent encore exister. Le pays des Lumières se sentirait-il tenté par l’obscurantisme dévastateur ? Je ne pouvais m’y résoudre car je savais aussi que beaucoup de personnes œuvraient pour aller dans le bon sens. Il existe des brebis galeuses partout, des contrées fort fort lointaines où les sentiments humains ne circulent même pas malgré les liens du sang.


Il expliqua que la première nuit, il avait dormi dans le jardin avec le chien. Et le lendemain matin son père n’avait pas retrouvé la raison et que sa mère n’avait pas plus que d’habitude pu s’imposer.

« D’accord, et que fais-tu depuis ? »

« Ma mère, terrifiée par les vociférations de mon père, a rassemblé mes affaires et m’a dit d’appeler un taxi pour retourner à Lille et de là à mon studio en attendant de voir… Je n’ai plus de nouvelles d’eux … jusque ce soir …. » Alors qu’il se remettait à fondre en larme, Jonathan me tendit une feuille froissée. J’en déterminais rapidement la provenance. Il s’agissait d’une lettre sur entête du CROUSS.


« Monsieur Dompart, Nous avons le regret de porter à votre connaissance que votre père, titulaire du contrat de location du studio N° B226 que vous occupez, vient de nous faire savoir sa volonté de mettre un terme à ce contrat.

Nous vous demandons de bien vouloir quitter les lieux à la fin du mois en cours, soit sous 72 heures …»


Je n’allais pas plus loin dans la lecture de la suite qui n’avait pas d’intérêt. Au moins j’avais une réponse à l’une de mes nombreuses questions. Pourquoi Jonathan était arrivé là, avec tout son barda, et pourquoi il me disait être devenu SDF …

« Tu en as informé Nassim ? Tu en es où avec lui ? Il n’a pas un endroit pour t’accueillir ?.. Je veux dire, à toute chose malheur est bon. la situation actuelle pourrait vous permettre de vous construire une vie de couple. Tu pourrais lui demander de t’héberger quelque temps … Ca vous rapprocherait … scellerait votre couple … »


Au prononcé de mes paroles, les larmes de Jonathan devenait torrent.

« Nassim, il vit en banlieue et, me disait-il, avec sa famille actuellement au Maroc. Je suis allé chez lui ce soir. Quand je suis arrivé il a entrebâillé la porte et était gêné. Je lui ai expliqué ce qu’il m’arrivait et naturellement je lui ai demandé si je pouvais dormir chez lui en attendant de trouver une solution et avant le retour de sa fratrie. Il ne répondait pas. Et au même moment, j’ai vu un homme à moitié nu, une serviette autour de la taille au fond du couloir. J’ai cru d’abord que c’était quelqu’un de sa famille mais il était très athlétique et de type occidental. Je ne comprenais pas de suite et c’est là que Nassim m’a expliqué qu’il lui arrivait très souvent de draguer dans la salle de sport et de se faire des plans d’un soir avec des clients plus sportif que moi. Il m’a aussi avoué que les couches l’avaient bien fait kiffer un soir mais que ce n’était pas spécialement son truc et que ça ne pouvait pas lui suffire…et enfin qu’ après tout on ne se connaissait que depuis quelques jours. »


Jonathan s’arrêta un instant, se mit sur ses pieds et me fixa droit dans les yeux. Pierrick, Je suis tout seul. Je n’ai plus rien. Mon compte bancaire est quasi vide. Je crois pouvoir tirer 100 euros et ma carte bancaire sera bloquée. Tu sais tout Pierrick ! »


Ce fut une claque pour moi. C’était la première fois que Jonathan m’appelait par mon prénom. D’habitude c’est « Mr ou Dad / Daddy, Papounet… », même si, imperceptiblement et probablement involontairement, j’avais toujours été un peu réticent à cette histoire de Suger-baby comme l’appelait Mathilde.


Je compris que, du moins pour Jonathan, la situation était grave. Et, objectivement, elle devenait compliquée pour lui. Pour autant que la situation était impromptue, je devais retrouver mes esprits et être minimum logique et structuré dans les décisions qui allaient devoir s’imposer à moi. L’urgence, c’était le problème immédiat de cette nuit. Il était tard et il n’y avait plus de métro. La solution était évidente. Jonathan allait dormir à la maison.


Je tendis une bière à Jonathan. J’en prie, également, une. « Tu as plusieurs options ?! Que comptes-tu faire à présent ? » demandais-je à Jonathan.

« Franchement, je ne sais pas. Il est évident que la situation me demande d’arrêter mes études de médecine. Je ne serai jamais pharmacien. À vrai dire, j’espérais que tu m’héberges le temps notamment de trouver un boulot et de trouver une chambre ou un studio. J’espérais que tu puisses avoir besoin de mes services pour Benjamin même. »


Peut-être était-ce le fait de m’avoir raconté ce qui venait de lui arriver, mais le jeune Jonathan pointait son nez et s’était métamorphosé en une heure. Il passait de l’enfant apeuré au jeune adulte de 20 ans plus déterminé ou animé par la colère mais pas encore avec la maturité des jeunes homme de 25 ans qui rentre dans la vie active et auquel j’avais généralement affaire lors des embauches de vendeurs ou d’agent de caisse.


Tout en finissant ma bière, je réfléchissais à la situation. Je devais également prendre en compte le fait que j’allais revoir Mathilde après-demain et donc préparer un dîner que je voulais romantique. Je n’étais absolument pas certain que la présence de Jonathan était opportune pour arriver à rassurer mon ex-femme et la reconquérir si possible.


« Bon, d’accord, dans un premier temps tu vas dormir ici dans la chambre et le lit de Benji . Demain, je prends une journée de congé. Je t’emmène à ton studio pour récupérer tes dernières affaires. »

À peine avais-je prononcé ces mots, que je vis le visage de Jonathan s’illuminer. Il est évident que ma décision avait provoquée chez lui un grand soulagement. Il se rassit sur le canapé, se plaqua à nouveau contre moi, et murmura : « Merci infiniment ».


Mon fils aurait fait ça, l’étudiant baby-sitter aurait tenu de la distance, l’employé aurait convenu d’un deal…Jonathan passait de l’un à l’autre en un claquement de doigt.


Très doucement, afin de préserver ce moment de béatitude entre nous, je l’interrogeais : « Veux-tu que mettre une couche pour dormir ? »

« Non, pas ce soir, à vrai dire je n’ai pas du tout le cœur à ça maintenant. Depuis l’autre soir je ne joue plus au jeune pisseux. J’ai juste besoin d’un peu de repos.


Bien que tout à fait acceptable et compréhensible, sa réponse me surprit. J’avais la certitude que, compte-tenu du fait que j’avais réussi à l’apaiser, il aurait sauté sur l’occasion pour redevenir le petit qu’il désirait tant être quand il était avec moi. Mais peut-être étais ce là un trait de lucidité.


Je respectais donc la décision. Proposer à Jonathan de dormir dans le lit de Benji s’imposait à moi. Avec cette instabilité émotionnelle je ne savais pas si c’était là vraie bonne idée. Je n’étais pas sûr qu’il puisse rester sec toute la nuit. En cas d’accident, le matelas serait néanmoins protégé par l’alèse que les pipis au lit de Benji m’obligeaient à laisser sous ses draps.

J’accompagnais donc Jonathan à la chambre de Benji, plus pour la forme qu’autre chose car il en connaissait parfaitement le chemin. Mais j’éprouvais la nécessité de l’aider à ôter ces vêtements et enfiler un T-shirt ample et un caleçon ….

Lorsqu’il baissa son slip, je découvrais une chose à laquelle je ne m’attendais absolument pas. « dis-moi, Jonathan, tu t’es complètement rasé ? » Il me dit qu’il préférait comme ça et que le port des couches était plus réaliste et à la fois sensuel sans trop de poils.


Le caleçon et le T-Shirt mis, je pris la précaution de lui mettre une paire de chaussettes pour ne pas qu’il ait froid aux pieds. Comme cela m’obligea à allonger Jonathan sur le lit dans le sens de la largeur, il me fit comprendre qu’il ne voulait vraiment pas de couche pour dormir.


Rassuré en me voyant avec la paire de chaussettes dans les mains, il se laissa aller et repris son pouce en bouche. Me prenant moi-même au jeu et attiré par ce mécanisme de succion sonore, je commençai à lui faire des chatouilles. La réaction fut immédiate ! Il se trémoussa sur le lit tel un petit ver

« Non pitié, arrêtes, je n’aime pas ça …. », me supplia t’il faussement, en rigolant aux éclats.

« Ah oui ? Petit Jonathan serait-il chatouilleux ? » renchérissais-je tout en attaquant le dessous des pieds de ce qui était devenue ma victime consentante …


Nous nous amusâmes de la sorte près de cinq minutes. Pour le plus grand bonheur de Jonathan, et du mien … Je le repris dans mes bras, l’allongeais dans le bon sens. Je le bordais et lui donnai un baiser sur le front tout lui souhaitant une bonne nuit. Il attrapa alors une des peluches que j’avais gagnées à la foire du trône pour Benjamin

Alors que je m’apprêtais à quitter la chambre, sa petite voix, volontairement fluette, m’arrêta. Il voulait une dernière confirmation « Dis-moi que tu ne vas pas me laisser tomber ? Je n’ai plus que toi …. »

« Il n’en est pas question. Je viens de te dire mes intentions, Elles ne sont pas de te laisser tomber sinon je t’aurais renvoyé chez toi dès ce soir. Tu as ton studio pour encore trois jours et nous verrons demain. Dors… »


Alors que j’allais éteindre la lumière, j’ajoutais « Cela dit, il faudra quand même se poser et discuter de ton avenir. Je comprends ton désarroi mais de là à arrêter médecine sur un coup de tête, cela me paraît un peu hâtif comme décision, ne crois-tu pas ? ».

Il s’anima de nouveau « Je peux te dire un secret ? »

Au point, ou on en était, je n’étais plus à une révélation prête. Je décidais de me rassoir sur le lit et pris sa main dans la mienne pour le garder calme et le convaincre qu’il avait toute mon attention.

« Je n’aime pas la médecine. Je m’ennuie à la fac. Depuis deux mois je n’y vais plus. Je passe mon temps à jouer à la console pour quand je rejouerai contre Benji, je puisse lui mettre sa raclée ».


Effectivement, c’était une nouvelle déconvenue pour moi. Je pensais que Jonathan était un jeune homme concentré sur de brillantes études. Il n’en était rien. Il avait médecine car son père voulait qu’au départ de son frère à la retraite il reprenne son officine. Mais ca ne l’avais intéressé de tenir un commerce et de vendre des médicaments.

« Soit …Mais alors, que voudrais-tu faire de ta vie ? »

« La recommencer ! »

« Euh… Quoi ? Comment ça là, recommencer ? Et recommencer quoi d’ailleurs ? La fac ? »

« Non ma vie. Avoir une autre enfance. On ne s’est jamais vraiment occupé de moi. J’ai été élevé par ma grande sœur en fait. Papa et Maman ne m’avait pas prévu et il était accaparé par leur carrière professionnelle. Il n’y a que 2 photos de mois nourrisson, une à 3 mois et l’autre quand je suis rentré en maternelle. On ne m’a jamais parlé des instants où j’ai du apprendre a manger solide, appris à parler, appris à marcher. J’ai été privé de l’amour de mes parents. C’est le reste de la famille qui a compensé »


Sa confession me laissa abasourdi. Comment un jeune de 20 ans qui devenait enfin sexuellement actif pouvait-il vouloir recouvrer une deuxième enfance à l’instant où il devait se faire homme, faire des études, se sculpter le corps, séduire une autre personne… »

« Euh, je pense que l’on devra reprendre la discussion ces jours prochains …. Très sérieusement même … »

« Tu es fâché ? » me demanda Jonathan, un peu plus apeuré.

« Sérieusement ne veut pas dire fâché. Ça ne veut dire rationnelle. Aller, il est plus de 2h30 du matin. Il est temps de faire dodo. Tu es sûr que tu ne veux pas de couche ? »

« Non, pas ce soir …. »

« Attention, pas de couche, pas de pipi au lit ! Tu as bien compris ? »

« Mais … enfin non… Je sais faire sans quand même… Par contre, tu peux allumer la veilleuse avec les petits éléphants au plafond ? Je voudrais les compter pour m’endormir»


Je nageais en plein paradoxe. Jonathan ne voulait pas que je lui mette de couche pour la nuit mais, en revanche, réclamait une veilleuse de tout-petit pour s’endormir. Vu le coté assez hallucinant de ces dernières heures, je n’allais pas chercher à comprendre. Je refis un dernier bisou à Jonathan, allumais les éléphants qui se mirent à arpenter le ciel et je regagnais ma chambre. Jonathan avait sa peluche moi pas. Je m’endormais pourtant perdu dans mes pensées.


La présence de Jonathan dans l’appartement avec Benji m’imposerait un choix de vie pour chacun des membres de ma famille.

C’est vers 5 heures du matin que j’entends du bruit dans l’appartement et plus précisément des bruits de pas qui se dirigeaient vers mon lit. Jonathan, tentant de faire le moins de bruit possible, se glissa sous mes couvertures.

J’attendais une petite demi-heure pour que Jonathan se rendorme et constater qu’il n’avait plus son caleçon et qu’il avait changé de T-shirt. De fait, il me semblait alors évident que le grand garçon de 20 ans, emporté par son sommeil, était redevenu plus petit qu’il ne pensait et avait fait pipi au lit. Il se cala le cul nu sur mon bas ventre visiblement en recherche de chaleur. Puis nous nous rendormions comme ça ? Cette fois-ci j’avais mon animal de compagnie, Jonathan lui en avait changé et cette fois c’est lui qui l’enlaçait.


Le réveil-matin me tira de mes dernières heures de sommeil et je me dépêchais de l’arrêter pour ne pas réveiller le grand-petit Jonathan. En me levant, je passais une tête dans la porte de la chambre de Benji. J’avais vu juste. Le caleçon et le T-shirt de la veille étaient par terre, trempés, en boule et une auréole sur les draps ne laissait aucun doute. Jonathan s’était, encore une fois, mouillé durant son sommeil.


Je détestais cela. Que ce soit Benji ou, maintenant, Jonathan, le fait qu’ils fassent pipi alors qu’ils ne portent pas de couche avait le don de me faire sortir de mes gons ! Jonathan le savait bien pourtant. La fessée me défoulait dans ces cas-là. Mais, pour le coup, ce n’était pas totalement sa faute. Intérieurement je le sentais. Même si, face aux évènements de la veille, Jonathan avait fait preuve d’une certaine maturité, sa partie « petit » reprenait ostensiblement le dessus. Les signes étaient là, évidents. Lorsqu’il pleurait à chaudes larmes en arrivant, les positions qu’il prenait lorsque je l’avais allongé pour lui mettre ses vêtements pour la nuit, tout trahissait que son « côté petit » était ancré et s’apprêterait à ressurgir à l’instant même où le « grand » Jonathan baisserait la garde. Je me sentais aussi responsable que lui. J’aurais dû lui imposer et le mettre cette couche. Il en avait un besoin endogène pour continuer de vivre.


Vis-à-vis de Jonathan, et pour garder la main sur les événements à venir, je décidais de faire preuve d’une certaine fermeté. Mais, partageant les torts, je ne voulais ce matin le punir.


Dans l’immédiat, je profitais du temps de calme qu’il me restait pour déguster mon café et tenter de planifier – autant que faire se peut – cette journée et anticiper les suivantes sans hypothéquer ma vie.. La bonne nouvelle était que, légalement, Jonathan était majeur. Personne n’avait donc de compte à rendre à sa famille. Tout juste à l’oncle pharmacien à 50 mètres de chez moi.


Cela aura duré moins d’une demi-heure avant que Jonathan ne traine son existence d’enfant mal traité dans la cuisine. Son corps en témoignait. Son torse était perdu dans son tee-shirt. Ses bras finement musclé arboré un simple duvet. Son cul était pommelé et son sexe un temps dressé était en train de redevenir simple zizi après avoir fait ses premiers pas sur le carrelage. Les jambes étaient fuselées, elles aussi peu poilues et ses petits mollets de coq étaient encore recouvert par la paire de chaussettes en éponge qui, par miracle, avait été épargnées et dont il ne s’était pas débarrassé après son accident nocturne.

« Coucou, petit dormeur, tu vas bien ? Tu as fait un bon dodo ? »

« Ouais … » me répondit Jonathan d’une voix entre les deux, à peine audible et ses yeux encore embrumés par le sommeil.

« Ôte-moi un doute, Jonathan. Est-ce moi qui perd la mémoire ou ne portes tu pas le même T-shirt que celui que je t’ai mis hier avant d’aller au lit ? » De ses expériences qu’il avait eues avec Benji, Jonathan savait que j’étais très cool sur la question du pipi au lit – et même du pipi culotte en général – pour peu que le petit demande ou accepte la couche quand il se sentait fatigué… Dans le cas contraire, la punition était systématique.


Un instant de panique s’installa sur son visage alors et Jonathan baissa les yeux au sol.

« Ben euh … »

« Oui … » - j’essayais de garder un minimum le ton grave et sérieux mais j’avoue que, vu l’attitude de Jonathan et ce qui lui arrivait depuis hier soir, j’avais plus en envie de le réconforter. Mais je me mefiais de ses réactions.

« J’ai fait un cauchemar … »

(Ben voyons…) !

« Et ? …. » me prenant littéralement au jeu et commençant même à m’en amuser avec une pointe de sadisme à peine dissimulée ; cette fois le rat était pris au piège, il ne pouvait plus faire demi-tour …

« En me réveillant, je me suis rendu compte que j’étais en train de faire pipi au lit. Mais, le temps que je réalise et que j’arrête le ipi flux de couler, c’était trop tard …. »


Les larmes revenaient, mais j’allais découvrir un peu plus tard que la vraie raison était plus profonde que le simple fait d’avoir fait pipi au lit … En s’éveillant, il reprenait conscience de sa situation et de la fragilité de notre relation, s’il ne répondait pas aux règles de vie que j’avais moi-même avec mon enfant.

« Bon, nous réglerons ça plus tard … en attendant, viens prendre ton petit-déjeuner … »


Joignant le geste à la parole, je servais à Jonathan son bol de chocolat chaud et des toasts grillés. Le « grand-petit » ingurgita son petit déjeuner plus rapidement que d’habitude. Il regarda son bol vide, perdu dans ses songes


Il prit une grande inspiration : « Est-ce que je peux prendre une douche avant de partir ? », me demanda-t-il.

J’avais peur de comprendre mais je pris la décision de le laisser aller au bout de son raisonnement, non par sadisme ou par jeu cette fois, mais plus pour lui faire comprendre que tout le monde ne réagit pas comme ses parents. Si je voulais aider Jonathan, je devais lui redonner foi en l’humanité, si tant est que l’humanité mérite que l’on ait foi en elle …

« Euh, la salle de bain est à toi … si tu as besoin d’aide, tu sais ou me trouver… »

« Non, ça devrait le faire, t’inquiète …. ».


Une grosse demi-heure plus tard, Jonathan revint tout habillé, ses deux sacs à la main.

« Bon, ben je rentre chez moi alors.. qu’est-ce que tu ferais d’un autre pissou ?... » dit -il le cœur lourd.

« Chez toi ? … Ou ça chez toi ? »

« Dans ma piaule d’étudiant … »

« Tu ne dois pas la rendre en début de semaine prochaine ? »

« Ben si mais d’ici là … »

« Je ne comprends pas un truc … Hier soir il était convenu que je t’hébergeais les prochains jours. Le temps que tu y vois plus clair. … »

« Ca, c’était avant que je fasse des bêtises. Je te connais. Tu détestes que Benji fasse pipi au lit où en jouant s’il n’a pas de couche. Dans son cas, c’est plus dur car c’est ton fils biologique et, en plus, il a 10 ans. Tu ne peux pas te débarrasser de lui mais moi avec mes problèmes de cette nuit, la solution me parait évidente … »


Pauvre gamin. Le désintérêt de ses parentes puis à présent leur abandon total, l’illusion d’avoir trouvé en Nassim un coach sinon mieux, lui faisait penser que les adultes étaient tous sur le même modèle et que l’égoïsme était un mal pandémique. Il pensait être toujours rejeté et jamais n’arriverait à entrer dans ce monde d’adulte, lui le petit mec du nord avec lequel on s’amusait. Je comprenais un peu plus pourquoi il voulait « recommencer sa vie » et, franchement, je me réjouissais qu’il n’ait pas plutôt envisagé d’en terminer avec.


Tout aussi saugrenue que son idée de redevenir un tout-petit sur le plan moral et mental et refaire tout le cheminement de l’éveil et de l’éducation me paraissait relever dans un premier temps, je devais le reconnaître, d’une certaine logique qui ne me laissait pas indiffèrent, même si dans l’instant, je me sentais démuni.

« D’accord » tentais-je de sonder « Tu repars dans ton studio trois jours. Et après tu fais quoi ? »

« A vrai dire, je sais pas. J’ai pris des cours de guitare et j’ai une sèche chez moi et nous sommes à Paris. Il y a le métro. Je ne serai pas le premier, je ne serai pas le dernier …. » Jonathan commençait à me faire très peur ou bien voulait me provoquer… Tellement peur que je me dressai sur mes pieds, me dirigeais vers lui et lui mis une gifle …


Nous fûmes tous deux pétrifiés. Jonathan par le fait de se faire gifler de la sorte – hors contexte régressif ; moi par mon geste instinctif. Je n’avais rien calculé. Le simple fait d’imaginer Jonathan, mon Jonathan, faire la manche dans le métro était, pour moi, une vision insupportable. Pire, alors qu’il était venu chercher de l’aide en moi et chez moi, il en était arrivé, en une nuit, à penser que, parce qu’il avait fait pipi au lit sans couche, j’allais le condamner à une vie de déshérence.


Nous restâmes ainsi, figés, une bonne dizaine de secondes, les yeux dans le vague. Les larmes qui commençaient à perler sur les joues de Jonathan m’extirpèrent de mon état second et je fus le premier de nous deux.

« Lâche tes deux sacs et vas t’assoir sur le canapé. IMMEDIATEMENT ! ».


Mon ton plus ferme avait extirpé, à son tour, Jonathan de son quasi-état de stase. Un peu apeuré, Jonathan lâcha ses deux sacs à dos qui s’écrasèrent sous leur poids. Un peu tremblant, il s’exécuta. Son attitude me rassura. Malgré qu’il fut majeur, il ne l’était pas du tout dans sa tète et j’avais un peu d’emprise sur lui, ce qui était une très bonne chose pour nous deux …


« Donc, si je te suis bien, Jonathan, ton projet de vie à l’heure actuelle, c’est de faire la manche dans le métro … »

« Je n’ai plus de projet de vie. Je merde en permanence. J’ai merdé avec mes parents ; j’ai surement merdé avec Nassim, et Grégory, mon mec d’avant qui s’est barré au bout d’une semaine et je viens de merder avec toi. Tu veux que je fasse quoi, j’ai plus de mentor, de coach, de père, de guide? ».

« Euh … tu peux m’expliquer en quoi tu as merdé avec moi ? … »

« Je ne t’ai pas écouté. Tu m’as proposé deux fois de dormir avec la couche cette nuit et j’ai refusé ! J’ai voulu faire le malin et je t’ai déçu. Je sais que tu détestes ça … que ça te met hors de toi. Je suis juste un crétin.

« Rends-moi un dernier service, s’il te plait …. »

« Lequel ? » lui répondis-je profondément attristé par l’image que Jonathan avait de lui-même.

« Dis à Benji que c’est un super copain. Il est génial et que je l’aime …. ».

« Dis-moi, tu ne crois pas que tu inverses les rôles ? Tu ne crois pas que c’est toi qui me dois un service. Non mais je ne le crois pas… Le mec, il déboule chez moi, il dort chez moi. Il pisse dans le lit de mon fils sans couche et le matin, il me dit visiblement en pleine déprime mais comme si de rien était, Ciao bon vent….

Et comment j’expliquerais moi que son pote, comme il dit, il joue en haillon dans le métro et qu’est-ce que tu me proposes de lui dire quand il me demandera si tu peux venir le garder ou jouer avec lui quand nous aurons besoin de le faire garder ?..».


Je ne sais pas si c’était la meilleure chose à dire à cet instant mais c’était ça ou le larmoyant couplet sur le « on n’est pas tous pareil, tu n’as rien fait de mal blablabla … ». Il est évident que cela viendrait … mais en réfléchissant cela me paraissait la meilleure option, d’autant que j’avais une emprise sur lui… et une idée ….

« Bon file à la douche


, nous allons passer chez toi comme je l’ai dit. Tu apprendras que je n’ai qu’une parole et elle ne varie certainement pas entre 3h du matin et le lendemain midi. Et je vais te la résumer de cette façon : je vais être tout ça à la fois, ton mentor, ton coach, ton père et ton guide. Et quand tu seras adulte, tu te rappelleras de ce matin-là. »

Et je pensais sans le dire « ou pas ! Car la roue tourne »


Il fallait relever le challenge maintenant et trouver une place pour chacun.


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